" J'ai imaginé un concept naturaliste : le ''jardin Punk'' "
Producteur spécialisé dans les plantes aquatiques, Éric Lenoir est un paysagiste singulier. Il ensauvage les végétaux horticoles et apprivoise les sauvageonnes dans des espaces naturalistes baptisés « jardins Punk ». Une idée lancée et mise en oeuvre sur son site expérimental, le Flérial, à Volgré (89).
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« Il n'y a pas de hasard », dit l'adage. Alors, ce n'est pas par hasard si, en ce printemps 2016, Éric Lenoir déménage sa production de plantes aquatiques de cinq kilomètres pour le site du Flérial, à Volgré (89). Mais kézako, le Flérial ? Une chose est sûre, c'est bien plus qu'un simple lieu de production. Un rêve de gosse devenu réalité ! Né dans une cité HLM de Seine-Saint-Denis, en banlieue parisienne, diplômé de l'école Du Breuil, Éric Lenoir devient paysagiste et décide de se consacrer aux milieux sauvages et aquatiques en pleine Bourgogne. Depuis dix ans, il y produit des plantes aquatiques et de zones humides avec des méthodes respectueuses de l'environnement, tout en observant les écosystèmes. Ainsi, il développe une approche originale : « J'ai imaginé un concept naturaliste : le "jardin Punk" ». Pour en appliquer les principes et expérimenter diverses techniques, Éric Lenoir crée en 2011 son jardin expérimental, le Flérial. Le site est voué à servir de réserve de pieds-mères pour la production de la pépinière et à proposer une vitrine pour ses activités de paysagiste.
Intégrer les endémiques au projet plutôt que lutter contre. En jachère pendant cinq ans environ, après avoir connu de grandes cultures de colza, le Flérial est totalement dépourvu de ligneux à l'exception de très jeunes saules et de bouleaux de moins de deux ans. Le terrain est peuplé de chardons, Rumex, chiendent, millepertuis et autres plantes endémiques. Très exposé au vent et au froid, avec de grandes variations de températures (de - 18 °C l'hiver à souvent plus de 38 °C l'été), le sol y est, en outre, de nature argilo-limoneuse, très pauvre en matière organique et hydromorphe, asphyxiant toute l'année. Néanmoins, son pH 7 est intéressant, avec un horizon de terre végétale généralement inférieur à 15 cm d'épaisseur. Dans ces conditions assez extrêmes, ne pouvant changer la nature du sol et faute de moyens et d'envie, l'homme renonce à se battre. Il trouve donc des solutions : « Plutôt que de lutter contre la végétation endémique, je l'ai intégrée au projet paysager et l'ai exploitée pour aider des sujets, a priori inadaptés aux conditions, à se développer », explique Éric Lenoir.
Intervenir le moins possible. Il assainit certaines zones, en effectuant des terrassements, non par drainage mais par surélévation. Les excavations servent d'aménagements aquatiques pour la biodiversité ou de bassins ornementaux. En même temps, il décide, autant que possible, de ne pas bouleverser le sol afin de ne pas nuire à son microbiote et aux nombreux invertébrés qui y vivent, dans un équilibre établi depuis plusieurs années.
Au lieu de passer un désherbant sélectif pour détruire les nombreux chardons et Rumex, puis de labourer pour installer une pelouse, Éric Lenoir choisit de déchaumer à l'automne à l'aide d'un cover-crop. Il crée ainsi des microreliefs et un faux semis, aère des bandes de sol, et stimule l'action des bactéries aérobies et des vers. Pour les plantations, il récupère des végétaux réformés de différentes pépinières, ce qu'il appelle « les nanars : des plantes trop grandes ou trop biscornues dont personne ne veut », des sujets évacués de chantiers, et procède à des boutures directes sur site. Au total, plus de 270 taxons ligneux et au moins 120 d'herbacées (hors endémiques) sont implantés. Acer saccharinum, spirées, osiers, aulnes, cerisiers à fleurs croissent tranquillement depuis, avec des résultats probants. Sur les cent arbres de récupération installés dans des conditions climatiques épouvantables en décembre 2012, les pertes se limitent à 30 %.
De nombreuses espèces dont les graines étaient en dormance réapparaissent dès 2013, dont la Baldellia ranunculoïdes. La biodiversité s'améliore avec une baisse de la nuisance des chardons et Rumex au profit d'un partage du territoire, entre autres, avec la carotte sauvage. La qualité de la prairie progresse même si le sol reste irrégulier pour y marcher. Les Rumex, toujours présents en nombre, servent au dessin paysager ; ces plantes sont très intéressantes pour leur port et leur couleur, surtout en masse. Tout comme les chardons ! En majeure partie fauchés juste après les fleurs, ils sont un garde-manger apprécié : « Les abeilles et les papillons en sont très friands », se réjouit Éric Lenoir.
Des associations bienveillantes. Le secret de la réussite ? Employer toutes les plantes sauvages présentes sur le site pour l'ornement et ensauvager les horticoles ou les exogènes. Entre les plantes endémiques, celles issues de la pépinière ou les horticoles, les associations gagnantes sont nombreuses. Ainsi, les Rumex et les fougères font bon ménage. Les premiers protègent les jeunes fougères sous les arbres juvéniles qui ne leur font pas encore d'ombre. À cette protection contre le vent et le soleil direct, s'ajoute le travail de leurs racines qui s'enfoncent profondément dans le sol et l'aèrent. Elles produisent aussi des sucres profitables aux bactéries, gage d'une bonne activité biologique du sol et de l'installation des racines des végétaux environnants. Le dactyle et les sujets ligneux constituent un autre exemple de mariage réussi. Cette grosse graminée assainit le sol autour des arbres sensibles à l'excès d'eau. Des mottes sont placées grossièrement autour de certains pieds pour jouer les pompes à eau ou font office de coupe-vent pour les plus fragiles. Exigeant en lumière, le dactyle dépérira dans l'ombre mais créera des reliefs sains pour les racines d'autres végétaux. Plante-hôte pour de très nombreux invertébrés, dont les abeilles, la carotte sauvage prospère pour le plus grand bien des autres plantes. Les syrphes adorent son pollen et leurs larves sont de précieux auxiliaires contre les pucerons. Ses racines améliorent le sol à la manière de celles du Rumex. Dans ces conditions, des plantes horticoles ou exogènes se sont ensauvagées et le Flérial abrite aujourd'hui Chelone obliqua, Crocosmia, Lythrum 'Robert', l'hellébore d'Orient, des pêchers (sur butte), Hibiscus palustris, Stewartia, divers rosiers ou encore de nombreuses fougères.
Isabelle Cordier
Les racines des carottes sauvages améliorent le sol et les Crocosmia « ensauvagés », qui demandent à être placés à l'abri en terrain bien drainé, poussent sans problème sur un sol totalement argileux et en plein vent. PHOTO : E. LENOIR
L'équilibre du plan d'eau se fait naturel-lement, même en l'absence d'eau l'été, les plantes s'adaptent et cela apporte de la diversité au paysage. PHOTO : E. LENOIR
La pépinière est équipée de deux tunnels pour démarrer certaines variétés. La production est artisanale, tous les travaux sont réalisés à la main, sans produits de traitement et sans machines. PHOTO : E. LENOIR
Ce Prunus 'Accolade', un arbre biscornu dont personne ne voulait, est aujourd'hui au top avec son air dégingandé. PHOTO : E. LENOIR
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